Depuis la nuit des temps, les femmes subissent. Elles appartiennent au sexe faible. D’abord pécheresses, impures, elles sont ensuite devenues sorcières, brûlées sur le bûcher, puis reléguées aux cuisines, aux corvées et aux bébés, en prenant soin de ne jamais dire un mot de travers. Il fallait satisfaire le sexe mâle. C’était normal, une vocation, comme pour un objet. L’inégalité était une évidence en soi. Elle avait politiquement et religieusement été imposée. Mais ne dit-on pas que ceux qui veulent le contrôle sont ceux qui ont peur de le prendre? La femme représente-t-elle une menace à l’autorité?

À travers le temps, pour mieux traverser l’épreuve, celle d’être une femme dans un monde d’hommes, nous nous sommes construit de solides cuirasses, une maille à la fois. Les morceaux s’ajoutaient à l’armure à la conquête de chaque petite victoire, et des grandes, telles que l’acquisition du droit de vote, celui d’occuper des postes autrefois réservés aux hommes ― même si l’égalité salariale, encore au 21ième siècle, n’est pas gagnée!

Mais chacune des pièces de l’armure, si petite soit-elle, a été acquise à la sueur de notre front. Pour briser les stéréotypes et casser le moule, nous devions travailler dur. Parmi tous les affronts, nombreux sont les jugements qui se sont cognés le nez contre notre bouclier d’acier, mais d’autres ont réussi à traverser, à nous atteindre. Alors nous résistions du mieux que nous le pouvions.

Depuis la nuit des temps, à quelques exceptions près, la femme se bat pour survivre, pour revendiquer son droit d’exister dans une société patriarcale qui, menée dans la linéarité, réprime le cycle féminin. Dans nos gènes se trouvent celles qui ont été, comme celles qui seront. Nous sommes unies par la flamme féminine qui brûle dans les tréfonds de notre être, laquelle nous a donné ― et nous donne encore aujourd’hui ― la force d’avancer, de fracturer les conventions sociales.

Pour y arriver, nous avons goûté à notre lot de souffrance; la colère, nous la connaissons sous tous ses angles, la rage, et la tristesse aussi. Le bonheur et l’allégresse sont parfois venus nous visiter, nous offrant le courage de continuer. Néanmoins, dans notre armure sont gravés la trahison, le rejet, l’humiliation, l’abandon, la non-reconnaissance de qui nous sommes, persécutées, pillées, abusées, réduites au silence, soumises. Nous avons encaissé. La carapace est ferme et épaisse, du béton.

Or, au bout d’un certain temps, une armure devient lourde à porter; elle nous écrase comme un étau qui se referme cruellement sur notre corps, sur notre âme. Sous l’abri de métal, isolées, nous étouffons, nous nous éteignons; la lumière ne parvient plus à pénétrer. À travers tous ces rôles, toutes ces luttes, dévouées à fracasser les chaînes, à repousser les limites, à affirmer notre vérité, à ériger notre liberté, nous avons nous-même oublié qui nous sommes, négligeant une partie essentielle de notre être véritable : notre yin. Ainsi, le yang dominait, il nous consumait.

Sous la cuirasse d’acier, plusieurs d’entre nous finissons par nous effondrer, par toucher le fond. À bout de forces, il n’y a plus que deux options possibles : abandonner ou puiser dans notre réserve d’énergie, et retirer l’armure. Alors que nous entendons cet Appel, une nouvelle ère se révèle. De plus en plus nombreuses sont les femmes-guerrières qui déposent maintenant les armes. Parce que nous étions en guerre; avec la société, et aussi avec nous-même.

Morceau par morceau, pièce par pièce, nous ôtons l’armure que nous portions telle une seconde peau, laissant place à des blessures qui, longtemps camouflées, se retrouvent soudain à vif. Chacun des fragments qui tombent nécessite une introspection profonde, une prise de conscience, une guérison. La guerrière apprend à s’aimer telle qu’elle est, avec ses cicatrices et ses imperfections. Et la guérison de l’une contribue à l’élévation de la conscience collective; à la libération de toutes. Le yin reprend la place qui lui revient, émergeant des profondeurs de la mer.

En se réappropriant son yin, la guerrière permet à l’équilibre harmonieux yin-yang, féminin et masculin, de renaître, d’abord en elle, puis dans la société. Car l’objectif n’est pas de pointer les hommes du doigt; vous avez aussi vos plaies à panser. Certains d’entre vous ont été ― et sont ― de précieux supporteurs et protecteurs de la femme, leur rôle originel. Le but n’est pas non plus de remplacer le patriarcat par le martriarcat, mais d’édifier l’égalité entre les deux… l’unitriarcat.

 

L’emploi des femmes est d’enseigner aux hommes à être doux. Alors il est temps pour les hommes de s’asseoir et d’écouter, et il est temps pour les femmes de se lever et de parler.

– Hale Kealohalai Makua, aîné autochtone hawaïen

 

La femme, ce joyau qu’on a jadis emmailloté dans plusieurs couches de souillure, momifiée, dans l’espoir de la dérober à elle-même. Mais voilà qu’aujourd’hui, accompagnée de ses fidèles alliés Persévérance et Pardon, la guerrière, après avoir traversé tempêtes, obstacles, guerres et conflits ― les ténèbres ―, est de retour au bercail fin prête à mener à bien sa mission : celle de régner sur son royaume, dans son temple, et de laisser sa déesse intérieure s’exprimer. Maître d’elle-même, la guerrière sait sa valeur inestimable. Après tout, elle donne la vie.

Les leçons apprises, la sagesse acquise, la guerrière est entière, prête à s’élever, alignée avec le flux de la vie. Soyons fières d’être femme, à la fois yin et yang, forte et fragile, dure et douce, puissante et pacifique. Les opposés unifiés.

À toutes celles qui ont le courage de se mettre à nu, de se dévoiler telles qu’elles sont réellement : belles et vulnérables, portées par l’amour véritable. Une fois l’armure brûlée, ne craignant plus d’avancer sans protection, la vraie nature de la femme-guerrière, son pouvoir dans sa forme la plus pure, est libre d’émaner. L’arme est vaine, car l’arme c’est elle. Ici et maintenant, ne cherchant plus à s’excuser d’exister, elle choisit de réclamer sa puissance, d’honorer le féminin sacré, et de faire briller le diamant brut qui l’habite, pour ainsi éclairer le chemin de ceux et celles qui, désormais, le marchent.