L’IA : entre surcharge cognitive et intuition

Par Isabelle Vince – Coach, consultante en stratégie, communication et développement humain
Auteure de la trilogie TOTUM


 

L’autre jour, une amie me confiait :

« Quand j’utilise l’IA pour m’aider à structurer mes idées, j’ai l’impression d’être jugée par mes collègues. »

Je lui ai répondu :

« Imagine que tu sois présidente de ton entreprise. Tu délègues à ton assistant la rédaction de documents, mais c’est toi qui qui décides et qui assumes. L’IA, c’est la même chose : un assistant, pas un pilote. »

Cette perception est fréquente. Une étude de Pew Research Center (2024) montre que près de 32 % des travailleurs américains pensent que recourir à l’IA au travail pourrait être perçu comme de la triche par leurs collègues.

Pourtant, la plupart reconnaissent que ces outils augmentent la productivité et la créativité lorsqu’ils sont bien utilisés.

Ces données illustrent bien le paradoxe de notre époque : plus nous avons utilisons l’intelligence artificielle, plus nous devons cultiver notre intelligence intérieure.


L’ère de la surcharge cognitive

Jamais l’humanité n’a eu accès à autant d’informations. Chaque notification, recommandation ou flux algorithmique active une microdécision. Or, notre cerveau — conçu pour traiter la rareté — se fatigue dans l’abondance.

Les recherches du psychologue Roy Baumeister ont démontré que cette répétition entraîne une fatigue décisionnelle : le cerveau bascule de la pensée rationnelle (système 2, analytique) à la pensée réflexe (système 1, impulsive).

Nous croyons penser plus vite ; en réalité, nous réagissons davantage.

Cette surcharge attentionnelle provoque un état d’hypervigilance cognitive, un stress de bas niveau qui érode la clarté et la créativité.


L’érosion du vrai et du faux

Entre les deepfakes, les contenus générés et les signaux contradictoires, le cerveau perd ses repères de vérité. Des études en neurosciences cognitives montrent qu’une exposition prolongée à l’incertitude active l’amygdale (peur, vigilance) et désactive le cortex préfrontal (jugement, planification).

Le psychiatre Antoine Pelissolo (Université Paris-Est Créteil, 2025) met en garde : le dialogue prolongé avec des IA perçues comme « confidente » peut altérer la perception du réel et augmenter les risques d’isolement émotionnel, notamment chez les plus jeunes.

Cette confusion cognitive ne détruit pas seulement la mémoire : elle dérègle le sens.
C’est le coût invisible de la révolution numérique.


Cultiver le discernement… et l’intuition

Les travaux en neuroleadership démontrent que la qualité d’une décision dépend davantage de l’état physiologique du décideur que du volume d’informations disponibles — ce que les chercheurs nomment cohérence neuro-physiologique.

Les dirigeants les plus performants ne délèguent pas leur jugement à la machine : ils régulent leur état interne avant d’interpréter la donnée.

Un leader lucide ne pense pas plus vite.
Il pense depuis un espace plus calme.

Le discernement trie ; l’intuition relie.
Les deux forment la boussole intérieure indispensable à l’ère de l’IA.

Les recherches du neurologue Antonio Damasio et du psychologue Daniel Kahneman montrent que nos décisions les plus justes émergent d’une interaction entre raison et signaux somatiques — ces perceptions fines du corps qu’on appelle intuition.

Loin d’être irrationnelle, l’intuition est une forme de traitement accéléré de l’expérience, enracinée dans le corps et dans la mémoire émotionnelle régulée. À l’heure où les algorithmes filtrent et prédisent, notre capacité à sentir ce qui est juste devient un avantage stratégique et humain.

Les leaders les plus lucides ne séparent plus données et ressenti : ils écoutent les deux canaux à la fois. C’est là que naît l’intelligence augmentée — non pas celle des machines, mais celle de l’humain accordé à lui-même.


Vers une écologie cognitive

Nos environnements numériques sont devenus des écosystèmes mentaux.

Des études publiées dans Frontiers in Psychology (2023) et Nature Human Behaviour (2024) montrent que la pleine conscience et la respiration consciente améliorent la mémoire de travail, la flexibilité cognitive et la qualité décisionnelle.

Cette écologie cognitive repose sur quatre piliers :

  • la gestion de l’attention (limiter le multitâche) ;
  • la régulation du stress physiologique ;
  • des pauses sans écran pour restaurer la clarté ;
  • et le retour à la sensation corporelle avant toute analyse.

La fréquence — cette cohérence intérieure évoquée dans mon article précédent — devient ici le socle du discernement : plus un leader est stable intérieurement, plus il lit la complexité avec lucidité.


 

Rester maître du sens, pas esclave de la suggestion

Les recherches du Stanford Human-Centered Artificial Intelligence (HAI) (2024) confirment l’existence d’un biais de conformité algorithmique : plus une réponse générée semble fluide et confiante, plus les utilisateurs lui font confiance — même lorsqu’elle est fausse.

Cela exige une vigilance active : l’IA amplifie nos capacités, mais seulement si nous restons à la barre.


Cinq leviers concrets pour cultiver discernement et intuition

1. Ralentir pour clarifier
Prendre trois respirations profondes avant une décision importante restaurent la lucidité.

2. Pratiquer la cohérence cardiaque
Des études du HeartMath Institute montrent qu’une respiration de 5 secondes inspire / 5 secondes expire, trois fois par jour, réduit le stress perçu de 50 % et améliore la clarté décisionnelle.

3. Observer sans juger
Les dirigeants dotés d’une conscience réflexive sont significativement plus performants dans la complexité. (Source : Center for Creative Leadership, “Mindful Leadership,” 2022)

4. Créer des temps de déconnexion
Des recherches de la Harvard Medical School (2023) montrent qu’une heure quotidienne sans écran réinitialise les circuits attentionnels.

5. Écouter le corps avant de trancher
Les signaux somatiques précèdent souvent la pensée consciente (Damasio, 1999).


En conclusion

L’intelligence artificielle élargit nos capacités analytiques, mais seule la conscience humaine transforme la donnée en compréhension éclairée.

Le leadership de demain ne reposera pas sur la quantité d’informations maîtrisées, mais sur la qualité de présence intérieure avec laquelle elles sont intégrées.

 

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